Dr Marc Abitbol, Université de Paris, Hôpital Necker-Enfants Malades, Centre de Recherche des Cordeliers
Jean-Claude Jeanny, Dr es Sciences, Centre de Recherche des Cordeliers
Notre œil perçoit la « lumière visible », qui ne couvre qu’une petite partie du spectre électromagnétique, comprise entre 400 nm (violet) et 800 nm (rouge) en passant par bleu, vert, jaune et orange. La couleur est un renseignement qui vient s’ajouter aux autres informations qu’un objet observé fournit à notre cerveau. De nombreuses personnes souffrent de troubles de la perception des couleurs. Ces déficiences sont regroupées sous le terme de dyschromatopsies.
Sommaire de l’article
Dyschromatopsies : classification anatomique
La dyschromatopsie est une anomalie totale ou partielle de la perception des couleurs. Elle peut être d’origine héréditaire et dans ce cas, on parle de daltonisme, ou acquise.
- Dyschromatopsie héréditaire — Daltonisme
La dyschromatopsie héréditaire dont sont atteintes les personnes daltoniennes (ou « daltoniens ») résulte d’une transmission génétique d’un gène délété (coupé) ou muté (modifié).
- Dyschromatopsie acquise
La dyschromatopsie acquise désigne une altération de la vision des couleurs consécutive à une atteinte pathologique, à un endroit donné du système visuel, situé entre les milieux oculaires et le cortex visuel occipital, et survenant au cours de la vie du sujet.
Bases anatomiques et physiologiques de la perception des couleurs
Dans la rétine sensorielle qui tapisse le fond de l’œil, ce sont les photorécepteurs qui sont sensibles à la lumière et qui convertissent par un processus photochimique, un signal lumineux en un signal électrique, envoyé au cerveau. Les photorécepteurs sont de 2 types : les cônes et les bâtonnets.
Les bâtonnets sont de l’ordre de130 millions. Ils contiennent un seul pigment visuel, la Rhodopsine, et ont une grande sensibilité à la lumière, d’où leur implication dans la vision nocturne et la vision périphérique.
Les cônes (seulement 5 à 10% des photorécepteurs, soit 7 millions) contiennent de la Iodopsine comme pigment visuel, qui existe sous 3 formes correspondant à 3 types de cônes caractérisés par la longueur d’onde de la lumière à laquelle ils sont sensibles :
- cônes bleus ou cônes S (short) (10% des cônes) sensibles aux longueurs d’onde dites courtes, comprises entre 400 et 500 nm, avec un pic à 470 nm
- cônes verts ou cônes M (medium) (30% des cônes) sensibles aux longueurs d’onde dites moyennes, comprises entre 450 et 650 nm, avec un pic à 530 nm
- cônes rouges ou cônes L (long) (60% des cônes) sensibles aux longueurs d’onde dites longues, comprises entre 450 et 700 nm, avec un pic à 600 nm.
Les cônes ont une faible sensibilité à la lumière. Ils permettent de voir les couleurs et sont donc responsables de la vision colorimétrique diurne (de jour) ainsi que de la vision précise (forte acuité visuelle). Ils sont rares en périphérie de la rétine et principalement concentrés en son centre, au niveau de la fovéa, dans le prolongement de l’axe optique. La fovéa est elle-même au centre de la macula, tache jaune au fond d’œil, d’un diamètre de 2 à 5 mm. La partie centrale de la fovéa, ou foveola, ne contient que des cônes.
Les pigments visuels ou photosensibles des cônes sont des protéines codées par des gènes. Ceux codant pour les pigments sensibles au vert et au rouge sont situés à la suite l’un de l’autre sur le bras long de l’hétérochromosome X. Celui codant pour le pigment sensible au bleu est situé sur le chromosome 7.
Le traitement de l’information colorée
Pour cette fonction physiologique, les humains possèdent donc normalement 3 types de photopigments, ceux des 3 types de cônes correspondants.
Selon que la longueur d’onde de la stimulation est courte, moyenne ou longue, l’œil percevra une sensation bleutée, vert-jaune ou rouge-orange. La vision normale des couleurs chez l’homme est dite trichromatique : bleu, vert, rouge.
Si la source contient toutes les longueurs d’onde du visible, la lumière apparaitra blanche.
Le traitement de l’information colorée chemine de l’œil au cerveau selon 3 étapes :
- l’étape rétinienne : les photorécepteurs assurent la transformation de l’énergie lumineuse en énergie électrique par une réaction appelée la phototransduction. L’influx nerveux active ensuite les cellules bipolaires puis les cellules ganglionnaires. Ces dernières produisent des potentiels d’action qui vont se propager le long des voies visuelles.
- l’étape géniculée : ces potentiels d’action vont être transmis jusqu’à 2 noyaux spécifiques du cerveau : les corps genouillés latéraux.
- l’étape corticale : les afférences géniculées se terminent au niveau du cortex visuel primaire.
Les troubles de la vision des couleurs
Les dyschromatopsies héréditaires – Daltonisme — Achromatopsie
Elles désignent une anomalie constitutionnelle de la vision des couleurs plus connue sous le nom de DALTONISME. Le daltonisme est présent à la naissance et va gêner le sujet porteur tout au long de sa vie. La fréquence du daltonisme est de 8% chez les hommes et 0,5% chez les femmes. Le principal gène responsable du daltonisme est porté par l’hétérochromosome X. C’est un gène qui est dit « récessif » et ne s’exprime donc qu’à l’état homozygote (xx) chez la femme d’où la plus faible représentativité du daltonisme chez les femmes que chez les hommes.
Le daltonisme se caractérise par l’absence de perception des couleurs ou par une incapacité à différencier certaines couleurs. Il traduit le déficit en un ou plusieurs types de cônes rétiniens, empêchant l’analyse normale de la fonction colorée. On distingue 3 déficits majeurs correspondant aux 3 types de cônes L, M, S qui peuvent être atteints :
- Le déficit « protan » porte sur les cônes L et consiste en une altération de la perception du rouge.
- Le déficit « deutan » porte sur les cônes M et consiste en une altération de la perception du vert.
— Le déficit « tritan » porte sur les cônes S et consiste en une altération de la perception du bleu.
Les troubles « protan » et « deutan » traduisent une atteinte génétique de l’hétérochromosome X alors que le trouble « tritan » est dû à une anomalie génétique intervenant sur le chromosome 7. Selon la gravité de l’atteinte, les troubles se résument en 2 sous-groupes :
- 1er groupe : perte totale de la perception d’une couleur, du fait de la délétion du gène correspondant. Le système ne fonctionne alors qu’avec 2 types de cônes. Pour nommer cette pathologie, on ajoute le suffixe « anopie » aux 3 déficits décrits précédemment. On obtient alors 3 types de défauts : la protanopie (aucune perception du rouge), la deutéranopie (aucune perception du vert) et la tritanopie (aucune perception du bleu), qui définissent le dichromatisme (perception de 2 couleurs seulement au lieu de 3).
- 2ème groupe : altération du mécanisme de perception des couleurs du fait de la diminution de l’activité d’un des 3 processus, en raison d’une mutation dans le gène d’un pigment visuel. Pour nommer cette pathologie, on ajoute le suffixe « anomalie » à chaque déficit, ce qui donne protanomalie (anomalie de la perception du rouge), deutéranomalie (anomalie de la perception du vert) et tritanomalie (anomalie de la perception du bleu), qui définissent le trichromatisme anormal. Lorsque 2 mécanismes sont atteints, le mécanisme restant ne suffit pas à la différenciation colorée et le nom d’achromatopsie ou monochromatisme est donné à ce type de déficit.
Les dyschromatopsies acquises
Une dyschromatopsie acquise est un trouble de la vision des couleurs consécutif à une altération fonctionnelle des cônes, des voies optiques ou du cortex, en relation avec une maladie acquise. Cette maladie peut être :
- Un décollement de rétine
- Une altération du cristallin
- Une occlusion de la veine centrale de la rétine
- Un diabète
- Un glaucome
- Un traumatisme oculaire
- Une DMLA
- Une myopie
- Une atteinte du nerf optique
- Une intoxication accidentelle ou nutritionnelle
- Une Maladie d’Alzheimer etc…
Conclusion
Les Dyschromatopsies, surtout héréditaires, nécessitent un dépistage précoce par un ophtalmologiste, car elles constituent un handicap pour l’enfant au cours de son développement et pendant l’acquisition de ses apprentissages ; les dyschromatopsies sont aussi un handicap pour l’adulte et déterminent le choix de son métier.
Source
« Les Dyschromatopsies »
Mémoire en vue de l’obtention du certificat de capacité d’Orthoptiste
Alexandra Roudinsky et Cécile Biancucci
Université de Lyon 1
Faculté de Médecine
Institut des Techniques de Réadaptation